Décembre 2019
Jeux de mots
Extrait de « Big Bang chez les Grecs ; Entre mythe et réalité Tome I », Géraldine Crevat.
https://www.editions-persee.fr/author/geraldine-crevat/
« Depuis la nuit des temps, les hommes et les femmes commentent leurs vies, les interprètent, les anticipent, se nourrissent d’espoir, s’enveloppent de peurs aussi.
En Grèce, avant même que l’écriture n’existe, ils se laissaient convaincre par des rhapsodes, ces poètes antiques porteurs de jarres ventrues depuis lesquelles s’écoulaient de fabuleux récits aux promesses célestes. Ils racontaient en chantant le monde d’avant, le monde que personne n’avait connu, le monde alors qu’il se créait à partir du néant. L’histoire de ces temps anciens qui célèbre l’origine de la vie, constitue ce que nous appelons la mythologie.
L’étymologie de ce mot est parfois facétieuse et se joue avec bonheur des définitions académiques des dictionnaires. Espiègle, elle nous emporte alors dans un labyrinthe sans issue où ses origines dérivent à en perdre la raison. Laissons-nous distraire par « mythologie » et attardons-nous quelque peu sur son sens primitif.
Nous voilà déjà dans l’impasse… Car enfin, mythos – μuθος signifiant « parole exprimée » et logos – λόγος se traduisant par « parole », on peut se demander pourquoi ce vocable est formé de deux notions identiques !
Voici un mot bien curieux qui au lieu de nous porter en puissance et de nous offrir un sens enrichi, nous interpelle par son inertie… Redondance ? Pléonasme ? Tout cela n’est pas très clair, vous en conviendrez ! Et si cette double parole avait toutefois une raison d’être ?
La question étant posée, il n’en fallait pas moins pour inciter l’adolescente que j’étais à pousser la porte d’un univers fascinant, celui de l’histoire des mots.
Timidement, je m’autorisais à soulever le coin d’un voile poussiéreux sur ce que d’aucuns appellent langue morte et que je préfère aujourd’hui appeler langue mère. J’abandonnais l’inertie pour entrer dans une matrice joueuse où les lettres et les sons suggéraient mille cousinages.
Après celui du latin, je découvrais alors l’impact extraordinaire que le grec ancien avait exercé sur notre vocabulaire. Irrémédiablement, mes interrogations me laissaient entrevoir combien l’étude des racines des mots pouvait ouvrir les portes de la connaissance.
Assurément, en cette fin de XXe siècle, le grec ancien faisait pâle figure en regard de centres d’intérêts nouveaux comme les technologies numériques. Il me fallait alors contourner les obstacles d’un apprentissage traditionnel, voire pire, conventionnel…
Ringard, démodé, suranné, l’attrait pour les langues antiques relevait de la gageure. Si le latin se contentait encore de quelques résidus de bienveillance collective, il fallait bien reconnaître que le grec souffrait d’indifférence. Les cours dispensés dans les lycées et universités tendaient à disparaître. Le monde semblait mésestimer la formidable richesse véhiculée par l’histoire de ces mots et déjà ma génération s’affranchissait de ce patrimoine dans une ignorance toute naïve.
Langue subtile et généreuse, le grec ancien avait deux ennemis : le premier était le passage obligé du latin auquel la plupart s’initiaient plus par devoir que par passion. L’exercice permettait de légitimer des siècles de clivages sociaux. Quel biologiste, médecin ou pharmacien ne s’est-il pas frotté à une exigence latiniste ?
Le deuxième était l’entrée en piste d’un nouvel animal de compagnie : le personal computer. Celui-ci s’enorgueillissait de nouveaux mots aux sonorités anglo-saxonnes. Et tout naturellement, nos constructions mentales changeaient de décor.
Acmé versus has been… Le grec semblait faire les frais de la suprématie d’un regard qui se voulait tourné vers le futur sans tenir compte de son passé. Plusieurs décennies plus tard, la négligence se fit préjudiciable…
Ainsi je comprenais que le grec s’immisçait partout. Il se cachait au plus profond de nos racines, au cœur même des concepts de notre civilisation occidentale. À l’image de petits cailloux semés sur la route du langage, il servait de guide et expliquait les fondements de notre organisation sociétale.
D’ailleurs, l’éco-nomie ne saurait encore aujourd’hui se passer des mots grecs oikos (éco-) et nomos (-nomie). Si l’on sait que oikos signifie maison et nomos, loi, on comprend que ce tandem bienveillant alliait jadis la notion de propriétés familiales exploitables et de leurs règles de fonctionnement. Il s’agissait de tirer le meilleur parti possible de l’endroit où l’on vivait et de le considérer comme instrument de production qu’il soit agricole ou artisanal.
L’idée est toujours aussi pertinente si l’on substitue aux grandes maisons des Grecs de l’Antiquité nos entreprises contemporaines. Car le modèle de base est bien celui-ci, avec l’administration de son personnel et de son produit annuel. Ainsi, conformément à son étymologie, l’éco-nomie définit la gestion des activités d’un bien. Assurément, il eut été contre-productif de laisser stagner là ces eaux dormantes.
Je relevais le défi et plongeais avec délice dans l’alphabet grec dont les contours alambiqués soutenus par la grâce mystérieuse des volutes ajoutaient à ma curiosité.
Dérobant aux scientifiques leurs symboles, je faisais phi (φ) du nombre d’or et m’appliquait à ingérer alpha (α), béta (β), puis leurs vingt-deux autres compagnes. Peu à peu, les lettres se mirent à danser, devinrent syllabes, mots, phrases puis textes. Le grec rayonnait par-delà même la composition des mots !
Les écrits d’Homère prirent soudain un autre sens et vinrent éclairer ceux de Jules Verne. Les fables d’Ésope illuminèrent celles de La Fontaine. Les facéties d’Aristophane firent scintiller celles de Molière. »
Géraldine Crevat – Tous droits réservés
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Automne 2019
Saison rousse
Les anciens, par la conscience qu’ils avaient de l’impermanence de la vie, saluaient Dame Nature pour tous les changements qu’elle impulsait au cours de l’année… Et le début de l’AUTOMNE marque ce tempo en offrant une facette renouvelée du monde qui nous entoure…
Pour beaucoup d’entre nous, le mois d’octobre accueille notre routine. Durant ces dernières semaines, nos activités ont souvent bataillé au coude à coude pour se faire une place dans nos emplois du temps d’Hommes modernes. Après quelques tâtonnements, nos quotidiens d’octobre semblent avoir enfin trouvé un JUSTE ÉQUILIBRE pour lequel nous sommes prêts à jurer constance et fidélité jusqu’à l’été prochain !
Toutefois, nous savons tous que l’Automne, avec son cortège de nuages et ses variations de lumière, travaille à épuiser même les plus dynamiques de nos motivations…
En Automne, on voit se transformer notre terrain de jeu. C’est le temps des nuits plus longues, le temps des parapluies, le temps des manteaux qu’il faut retrouver au fond des armoires… Alors l’Automne, c’est un peu le temps du deuil de nos activités estivales… Ainsi, face aux nouvelles humeurs de la Nature, chacun prend conscience qu’il est temps d’accepter et d’acter la rentrée…
Et si nous regardions l’Automne à la manière des anciens ? Et si nous ressentions ces mois qui nous préparent à l’hiver avec tous nos sens ?
Car l’Automne c’est aussi le temps des feuilles qui rougissent sous l’effet de quelque émotion inconnue, c’est le temps des parfums d’humus réveillés par une myriade de champignons sortis de terre brusquement, c’est le temps des châtaignes qui offrent leurs saveurs nourrissantes et réconfortantes, c’est le temps des ciels irisés et imprévisibles qui s’effilochent en contre-jour. Soyons attentifs à tous ces changements. Prenons plaisir à observer la mécanique merveilleuse du monde qui nous entoure. Percevez-vous tout cette effervescence feutrée qui s’organise dans les arbres, sous terre, dans le ciel ? Végétaux et animaux répondent en coeur aux variations de saisons… Chacun sait ce qu’il a à faire. Ceux-ci façonnent leur nid, d’autres se réunissent pour migrer vers le sud, ceux-là engrangent des provisions sous terre… Et vous ? Que faites-vous aujourd’hui pour préparer l’hiver ?
Géraldine Crevat – Tous droits réservés
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Septembre 2019
La vigne donnée par…
Septembre… l’heure des vendanges ! Mais savez-vous que cette tradition millénaire est étroitement liée à l’histoire extraordinaire de DIONYSOS ? Avez-vous déjà entendu parler de ce dieu du panthéon grec qui dit-on, fit don de la vigne aux hommes de l’Antiquité ?
DIONYSOS ne fit rien comme les autres dieux grecs ! Il commença à se faire remarquer dès sa venue au monde ! En effet, sa naissance fut si surprenante que nous en parlons encore ! Voilà un personnage qui peut se vanter d’être NÉ DE LA CUISSE DE JUPITER !
Tout d’abord, il faut savoir que la mère de DIONYSOS, Sémélé, fut foudroyée par la jalouse Héra (l’épouse de Zeus) alors qu’elle était enceinte. Pour sauver l’enfant, son père Zeus (Jupiter pour les Latins) préserva le foetus en le cousant à l’intérieur de sa cuisse. Ainsi la grossesse put être menée à son terme.
Une fois né de la cuisse de Jupiter – oups ! né de la cuisse de Zeus – , le dieu orphelin par sa mère fut élevé en Asie mineure au coeur d’une Nature sauvage. Là, le jeune DIONYSOS découvrit mille libertés et s’inspira des mille sensations que cette Nature précieuse lui offrait spontanément.
Sur un coteau ensoleillé, il remarqua quelques pieds de vigne. Il apprit à les cultiver et tira de leurs fruits un jus d’une couleur incomparable. Dans cette aventure, Nymphes, Ménades et Satyres le suivaient sans cesse en un cortège bruyant. On comprendra aisément pourquoi tout ce petit monde assoiffé n’avait aucune retenue et perdait souvent la raison… Laissant aller et venir les instincts des uns et des autres, la joyeuse troupe menée par DIONYSOS envahissait forêts et campagnes, montagnes et ravins. DIONYSOS parcourait un monde sans frontière, sans contraintes, un monde de musiques et de danses effrénées…
Comme DIONYSOS n’était pas le bienvenu auprès de la Jalouse Héra, il vivait loin des autres dieux de l’Olympe. Parfois, il lui arrivait de demander l’hospitalité aux hommes. C’est d’ailleurs pour les remercier de leur accueil bienveillant qu’il offrit jadis la précieuse vigne aux Grecs. Il leur enseigna comment fabriquer le vin. Voilà pourquoi les textes de la mythologie nous présente DIONYSOS comme un dieu civilisateur.
Tendez bien l’oreille… L’entendez-vous rythmer nos quotidiens de ses musiques enjouées ? Peut-être le rencontrerez-vous en septembre au creux des vallons vermeils. Car il se peut qu’il veille au milieu des sarments alors qu’il est grand temps pour nous, de récolter les grappes de raisin…
Géraldine Crevat – Tous droits réservés